Le futur: MPEG-4, ISMA


Les enjeux du propriétaire

Aujourd'hui, le seul moyen de vivre du multi-media sur le web est de vendre des solutions propriétaires.

Ni Microsoft ni Apple n'ont la prétention de tirer un profit de Windows Media ou de Quicktime. En revanche, une firme dont c'est l'unique activité n'a pas d'autre source de revenus.

Ainsi, les créateurs de codecs, comme Sorenson ou Ligos, vivent des royalties sur chaque lecteur vendu incluant leur logiciel. Le groupe MPEG-LA, qui regroupe les 19 détenteurs des brevets sur le MPEG-4, demande non seulement 0.25$ par lecteur vendu, mais encore $0.00033$ par minute de programme vendu ou copié dans ce format.

Ce qui pose cette question récurrente qui freine l'accès aux technologies: peut-on breveter un algorithme? On se souvient des tentatives de breveter le micro-processeur, puis l'hypertexte, les cookies, et même l'utilisation de XOR dans les routines graphiques. Curieusement, personne n'a pensé à ce jour à breveter la fourchette ou le fil à couper le beurre.

On se souvient aussi comment s'est soldée la tentative d'Unisys de breveter la compression LZW-GIF: on l'a remplacée par le PNG. Si l'implémentation du MPEG-4 est bien propriété du groupe MPEG-LA, rien n'empêche quelqu'un d'autre d'implémenter l'algorithme autrement. Cette stratégie ne peut pas tenir très longtemps.

Note: Le problème existe déjà pour le MP3 où Thomson multimedia a déposé à peu près tout sauf la multiplication, y compris un "Process for transmitting and/or storing digital signals of multiple channels" qui nous semble aussi original que son brevet MIDI qui produit une variation continue en ajoutant un offset périodique à une variation discrète.

Mais en ce domaine, la meilleure façon de s'assurer d'une source de revenus réguliers est encore de faire de son client un locataire. Ainsi, RealSystems demande $20,000 par an pour le droit de servir 400 flux RealAudio.

La plate-forme multimedia de demain ouvrira le marché des programmes payants en contrôlant la distribution et en interdisant les copies.

C'est à un changement de modèle que nous assistons. Celui de demain repose sur un principe simple: si j'ai le monopôle des tuyaux et que je prélève une taxe minime, alors je deviens très riche. Le tuyau ici n'est plus les voies de télécommunication mais la solution logicielle qui régira le flux. A côté de cet enjeu, les quelques millions de dollars rapportés par les licences logicielles sont une broutille.

Pour se faire une idée de cette plate-forme de demain, il suffit de regarder Windows Media Services: la clé de voûte s'appelle DRM (Digital Rights Management). Ce système s'assure qu'un programme n'est joué que sur un matériel pour lequel un droit de reproduction a été accordé. Il s'appuie sur SAP (Secure Audio Path). Son analyse est instructive.

SAP est intégré profondément dans le système d'exploitation. Lorsqu'on lit un fichier audio ou vidéo, SAP lui ajoute du bruit, c'est-à-dire un son ou une image parasite. Media Player retire ce parasite avant de passer les données à l'interface (par exemple la carte son) après avoir vérifié que cet interface a été autorisé à reproduire ce media.

Cela implique évidemment une identification du matériel. C'est comme un CD qui ne jouerait que sur un lecteur. Et si votre carte-son tombe en panne, il faudra révoquer sa licence et la transférer sur une autre. Et si vous voulez copier vos morceaux préférés sur votre balladeur, il vous faudra une extension de licence.

Hélas, toute tentative de protection par clé (sauf les cryptographies "dures" qui sont inutilisables car trop gourmandes en ressources de calcul) est vouée à être contournée. Ce fut le cas de l'anti-copie SCSS, du zonage DVD, de l'E-book, des numéros de cartes bancaires... DRM est d'ores-et-déjà "craqué".

L'inhérente vulnérabilité de ces solutions oblige à les accompagner de mesures répressives qui démontre leur inefficacité de façon éclatante: "je vous interdis de contourner le dispositif qui vous empêche de faire ce que je vous interdis". Il faut donc interdire les recherches sur la cryptographie.

Note: C'est ce qui est arrivé au Pr. Edward W. Felten (Princeton) lorsqu'il a voulu présenter au congrès Unenix sur la sécurité le résultat de son attaque sur le SDMI (Secure Digital Music Initiative), pouruivi par ceux-là même qui avaient lancé le défi de "cracking". Avec les brevets sur les algorithmes, c'est le développement technologique qu'on freine. Ici, c'est le développement scientifique. Il semble qu'on cherche toujours le mode d'emploi de l'ère digitale.

Cette solution a tout pour séduire les maisons d'édition, mais elle apparaît beaucoup moins apétissante à l'industrie mondiale car elle est propriétaire, ce qui l'exclut du jeu (l'industrie mondiale). C'est une offense assez grave pour ne pas être relevée.

Le lobby de l'ouverture

En poussant une solution propriétaire, ce n'est plus des nains comme Sun ou Apple qu'on affronte, mais des géants comme Sony et Philips.

L'alliance Sony-Philips n'est pas nouvelle. Elle est même historique. C'est à elle qu'on doit le «Red Book»qui établit le format du CD audio. Rien que ça! Les deux mastodontes, d'ailleurs rejoints par Apple, IBM et Sun mais encore, ce qui est plus significatif, par Time Warner, ont formé ISMA, (Internet Streaming Media Alliance).

Le cheval de bataille de l'ISMA est une plate-forme multi-media reposant sur des standards ISO/IEC (MPEG-4) et IETF (RTP: RFC1889; RTSP: RFC2326). Elle intègrerait aussi un système de contrôle des droits, mais non propriétaire. Cette ouverture donnerait à l'ensemble de l'industrie mondiale une chance d'avoir une part du marché qui se profile.

MPEG-4 a toutes les caractéristiques pour suivre le même chemin et aboutir aux mêmes résultats que MP3 (MPEG-2 Layer 3) pour la musique: un format universel, un choix ouvert de players.

Déjà, MPEG-4 est le choix de la puissante industrie de la radio-diffusion, une industrie très structurée par des organisations telles que la NAB (National Association of Broadcasters) et l'EBU (European Broadcasting Union) pour les diffuseurs, l'AES (Audio Engineering Society) et la SMPTE (Society of Motion Picture and Television Engineers) pour les ingénieurs.

Déjà, Windows Media et Quicktime (6 Preview) gèrent le MPEG-4. On voit mal l'avenir de Real s'il ne les rejoint pas. Reste à harmoniser les protocoles et les media packagings pour lesquels, rappellons-le, il existe des RFC.

Et l'utilisateur?

Lui aussi deviendra simple locataire de son ordinateur et de ses logiciels. Car sa licence dira ceci:

You agree that in order to protect the integrity of content and software protected by digital rights management (`Secure Content'), Microsoft may provide security related updates to the OS Components that will be automatically downloaded onto your computer. These security related updates may disable your ability to copy and/or play Secure Content and use other software on your computer. If we provide such a security update, we will use reasonable efforts to post notices on a Web site explaining the update.

Vous acceptez que, dans le but de préserver l'intégrité de l'enregistrement et du logiciel protégés par les Droits des Oeuvres Numériques, Microsoft puisse effectuer des mises-à-jour de sécurité des composants du Système d'Exploitation par téléchargement automatique dans votre ordinateur. Ces mises-à-jour peuvent vous enlever la possibilité de copier et/ou d'exécuter les Oeuvres Numériques Protégées ainsi que d'utiliser d'autres logiciels de votre ordinateur. Si nous diffusion de telles mises-à-jour, nous nous efforcerons raisonnablement de vous en avertir via un site web expliquant la mise-à-jour.

Le débat n'est pas nouveau, il s'agit simplement de savoir si c'est l'utilisateur ou le réseau qui dispose de l'ordinateur.

On l'avait déjà vu avec le Network Computer. On le voit revenir avec les architectures réseau-centriques où l'ordinateur va chercher sur le réseau le logiciel nécessaire à l'accomplissement de sa tâche, logiciel dont l'usage peut être alors étroitement contrôlé et tarifé. ActiveX en est la prémisse, .NET l'aboutissement.

S'il était nécessaire de se convaincre des dangers d'un tel abandon de souveraineté sur nos ordinateurs, il suffirait de lire l'Amendement à l'USA Act déposé par l'industrie du disque. Il y est dit ceci:

Aucune action ne peut être intentée dans la cas ou apparaîtrait une impossibilité d'accès aux données suite à l'effet d'un programme ou système mis en oeuvre par le détenteur de droits d'une oeuvre pour empêcher la transmission de cette oeuvre par voie électronique lorsque cette transmission enfreindrait les droits de copie.

En clair, si le logiciel chargé automatiquement (mais après vous en avoir averti "raisonnablement" via un site web) par Universal Music sur votre ordinateur efface des fichiers par mégarde parce qu'il a cru que c'étaient des oeuvres piratées, ce n'est pas de sa faute.


Webographie


[11] Seybold Reports 2001 : DMCA Backgrounder
[12] Seybold Reports May 2, 2001 : Hackers Threaten Music, Publishing Establishments.
[13] Seybold Reports October 23, 2001 : Windows Media DRM cracked.

[14] MacInTouch Special Report : Streaming Media Market Report - 2001
[15] InternetNews December 12, 2000 : Streaming Media Alliance To Accelerate Open Standards.
[16] CNET News.com October 4, 2001 : Tech giants push MPEG-4 standard, Gwendolyn Mariano.
[17] Network World Fusion, 10/10/01 : Creating a rich media standard, Jason Meserve.
[18] Media Alliance:The Future of Openness on the Internet, Laura Stein and Dorothy Kidd.
[19] Wired News Oct. 15, 2001 : RIAA Wants to Hack Your PC, Declan McCullagh.

[20] EE Times February 26, 2001 : Moses for the Web, Rick Merritt.
[21] EE Times March 5, 2001 : SGI spin-off targets video-via-Internet, Junko Yoshida.
[22] EE Times September 20, 2001 : Standards, architectures strive for 'flow', Dianne Daniels.
[23] EE Times September 20, 2001 : ISMA eyes standards, open architecture, Viswanathan Swaminathan.
[25] EE Times November 12, 2001 : MPEG-4: A system designer's view, Robert Bleidt.
[25] EE Times November 12, 2001 : Object-based MPEG offers flexibility, Rob Koenen.
[26] EE Times November 15, 2001 : MPEG-4 RESOURCES.
[27] EE Times January 31, 2002: Anger greets MPEG-4 licensing scheme, Junko Yoshida.
[28] EE Times February 1, 2002 : MPEG-4 licensors add a 'use fee', Junko Yoshida.


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