AVS : Le cache-sexe du Net


Chaque fois qu'on a amassé un gros paquet de fric quelque part, les parasites sont arrivés. Ouvrez une mine d'or en plein désert, les roulottes des prostituées sont aussitôt là. Internet ne pouvait pas échapper à cette régle.

Une activité parasite est, par définition, une économie basée sur un bien inexistant. Pas de création de richesse, pas de produit, pas de service. Mais c'est payant. Tout l'art du parasite est de se placer sur un chemin à grande circulation et de prélever une petite dîme au passage. On appelle ça aussi : racket.

Bien sûr, on ne rackette pas les utilisateurs d'Internet comme on rackettait les voyageurs des grands chemins. Le cyber -parasite doit obtenir son consentement. Pour cela, il joue sur des motivations fortes et universelles: l'argent et le sexe.

Une activité parasite ne peut donc se développer que si son hôte peut caresser l'espoir de gagner beaucoup d'argent ou de voir beaucoup de femmes à poil (ou d'hommes à poil). C'est pour ça que les premiers parasites sont apparus sur les webs coquins. J'ai nommé:

Les AVS (Adult Verification System)

Si vous êtes coquin(e), vous connaissez déjà l'AVS. Ce système vous délivre, moyennant rémunération, une clé qui vous permet d'entrer sur les sites web les plus "chauds". Malheur à vous si vous avez acquité votre dîme, c'est pour vous apercevoir que votre clé vous permet bien d'entrer sur le serveur qui vous l'a vendu, mais pas sur le voisin. C'est qu'il utilise un autre système, en tout point semblable, mais incompatible.

A quoi sert-il?

Le service vous est présenté comme un cetificat de majorité (d'où son nom) et on vous dit que sa nécessité découle de celle, légitime et légale, de protéger les mineurs de la pornographie. A première vue, tout cela semble très correct. On accepte bien de payer l'administration pour qu'elle vous délivre une carte d'identité.

Au passage, on se demande pourquoi un tel service est délégué à une entreprise privée. On peut aussi s'étonner que la majorité se perde au bout d'un an puisqu'il faut renouveler (repayer) ce certificat. Les pièces d'identité que nous délivre notre si sourcilleuse administration sont valides bien plus longtemps.

Comment fonctionne-t-il?

Avec votre carte de crédit, bien sûr! Le site que vous voulez visiter vous renvoie vers le site du marchand de certificats. Celui-ci vous procure, moyennant finances, un numéro d'identification. De retour sur le site à visiter, vous saisissez ce numéro, une vérification est effectuée dans la base de données du marchand de certificats, et vous entrez. Votre certificat est valide pour un an, deux ans ou à vie, et sur tous les sites qui ont adopté le même système.


Où va l'argent?

L'argent va au marchand de certificats (certifieur) qui en reverse à peu près la moitié au possesseur du site (webmaster) qui vous a rabattu à lui. Voici les prix pratiqués par le système ©AdultCheck en Septembre 99:


Commissions versées par l'AVS AdlutCheck
Durée de
validité
Coût pour
l'utilisateur (1)
Commission pour le webmaster (2)
Directe Indirecte
à vie $76.95 $47.25 $4.50
2 ans $29.95 $15.75 $1.50
1 an $19.95 $10.50 $1.00
(1) http://www.adultcheck.com/cgi-bin/merchant.cgi?9999
(2) http://secure.adultcheck.com/cgi-bin/apply.cgi?9999

Lorsque vous achetez un AVS à 100F (colonne 2), le webmaster du site qui vous a convaincu de l'acheter touche à peu près 50F (colonne 3). Qu'est-ce que ces 5F dans la colonne 4? C'est ce que touche le parrain du site, c'est-à-dire celui qui a convaincu son webmaster d'utiliser l'AVS. Nous voyons se dessiner un système fort classique de commissionnement de vendeurs qui, à leur tour, touchent des commissions sur les affaires des vendeurs qu'ils amènent au système.

C'est un système pyramidal!

En effet, l'AVS est un système auto-générateur. Chaque webmaster est encouragé financièrement à en convertir d'autres. Comme l'AVS ne coûte strictement rien aux webmaster mais qu'il peut cependant rapporter, l'espérance de gain est toujours positive. C'est une opération à investissement zéro et risque zéro.

Pourquoi le certifieur paye le webmaster et non l'inverse?

C'est vrai, il semble qu'il y ait une interversion des rôles. Le certifieur fournit une prestation, mais il paye ses clients. C'est là précisément qu'apparaît la vraie nature du système. Si le certifieur rendait service au webmaster, il devrait y avoir un flux de valeur du second au premier. Si c'est le contraire, c'est que c'est le webmaster qui rend un service au certifieur.

Quel est ce service? Vendre des certificats. Les webmasters sont les vendeurs des certifieurs. Vous rémunérez le certifieur et son vendeur. Si, comme on voudrait vous le faire croire, vous payiez un certificat, le webmaster n'aurait aucune raison de percevoir une commission.

C'est exactement comme si, lorsqu'elle vous délivre une carte d'identité, la Mairie de votre village reversait une commission aux policiers qui vont vous la demander, justifiant ainsi la nécessité de demander une carte d'identité à la Mairie.

C'est un système circulaire. Il ne produit rien. Il s'auto-génère.

Le principe-même du commissionnement des webmasters marque la limite entre un modèle économique normal et une économie parasite.

Mais il rémunère les auteurs...

Les webmasters sont rémunérés selon leur aptitude à vendre des certificats, pas selon leur aptitude à produire des sites web. Certes, les deux sont liés. Examinons donc le travail de ce fameux webmaster: il réunit des images et les mets en ligne. C'est donc un travail d'assemblage (numérisation des images, écriture de HTML, maintenance du site) plus une prestation réseau (hébergement).

Est-ce sur ce critère que vous le rémunérez?

Il y a beaucoup d'autres gens qui réunissent des images et les mettent en ligne gratuitement. Si des gens le font gratuitement et que celui-ci demande rémunération, c'est donc qu'il en fait son métier. Et bien non, pas du tout. Sauf à grande échelle, Il s'agit le plus souvent d'amateurs qui arrondissent leurs fins de mois. Nous l'avons dit, c'est zéro risque zéro investissement. Le seul risque est d'omettre la déclaration des revenus.

Nous en connaissons pourtant certains qui en vivent bien. Ceux qui ont commencé il y a quelques années, qui se trouvent maintenant en haut de la pyramide, opérent eux-mêmes un nombre important de sites et en parainnent un nombre encore plus important. Il y en a très peu et il est trop tard pour faire fortune par ce moyen.

Alors il rémunère le contenu.

En effet, si vous accepter de payer pour visiter ce site, c'est pour son contenu particulier. Ce contenu, il faut le produire. Payer les modèles, les photographes, les studios. Comment pensez-vous que cet argent leur parvient? Par les droits d'auteur que leurs versent les webmasters? Et bien apprenez que dans une grande partie des cas, ils oublient!

A part quelques officines qui ont leurs moyens de production propres, ce que vous trouvez derrière votre AVS a été puisé dans les magazines, sur le web, et même sur des sites gratuits. Cela s'appelle du vol, et vous en êtes le complice. Et en plus, vous payez le voleur! Nous ne prétendons pas que c'est une généralité, ce n'en est pas une, mais nous l'avons constaté à maintes reprises.

Sans les AVS, les serveurs pour adulte disparaîtraient.

C'est fort probable. Et je serais le premier à le regretter. Mais si la clé du problème est de délivrer un certicicat de majorité, il y a certainement d'autres solutions plus saines.

Mais il y a plus grave. Au départ, l'objectif est de protéger les mineurs. Nous n'en avons jamais vu la moindre préoccupation sur les sites des certifieurs. Ils n'offrent aucune garantie. La seule chose qu'ils certifient c'est qu'ils ont encaissé votre carte de crédit. C'est donc ni plus ni moins qu'un ticket de caisse que vous avez entre les mains.

Si des mineurs parviennent à s'en procurer et si des parents déposent plainte, le webmaster n'a aucune protection! Le volet légal, qui est pourtant la seule justification avancée du système, est totalement absent. De même que le respect des droits d'auteurs que ce système pousse à enfreindre, et qui n'est jamais évoqué.

Les marchands de certificats se lavent les mains de toutes les conséquences. Plus grave, ils laissent les webmasters amateurs prendre les risques et ne répondent pas au problème posé.

On va pas faire un vélo pour le prix de deux places de cinéma?

Non, si le vôtre est un cinéma où vous payez la caissière et la salle, mais ni les réalisateurs ni les acteurs.

Comme d'habitude, c'est vous qui voyez. Ce document vise seulement à vous informer, pas à vous culpabiliser. Vous avez maintenant tous les éléments en main pour agir comme bon vous semble.

Existe-t-il des alternatives?

Aujourd'hui: non. Cependant, il est tout-à-fait possible de confier le rôle de certifieur à une association bénévole. Le système des certifieurs est simple, il ne repose sur aucune technologie propriétaire, son implémentation est à la portée d'une association qui, évidemment, ne reverserait pas d'argent aux webmatsers.

Cependant, aucune ne peut prendre aujourd'hui le risque de voir sa responsabilité engagée dans la question de la protection des mineurs. C'est un problème légal autrement épineux. Un tel certificat, nous l'avons dit, n'a aucune valeur juridique. Présenté comme un simple "ticket de caisse" (ce qu'il est), son émetteur tombe probablement sous l'accusation de diffusion pornographique ou de proxénétisme.

La protection des mineurs sur le web ne doit pas se transformer en interdiction des web pour adultes. C'est un problème politique qui déborde largement du cadre de ce document.



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